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El Mahroussa

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Création
Textes : Sébastien Weber,
Bernard Weber et Lune Di Tullio
Mise en scène : Élodie Cotin
assistée de Raphaël Dubois,
Franck Rabilier et Sébastien Weber
Dir. technique : Mickaël Lamotte
Avec les membres des Fourberies des patelins.
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Texte
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Élodie Cotin

El Mahrussa, la première mort de l’évadé

L’intrigue est à Gênes, Italie, vers 1603. Des enfants des rues de la puissante cité aux mille palais recueillent un naufragé à demi-mort dans les eaux du port et le portent chez Mama Rossa, putain de haut vol et grande magicienne, qui le soigne. L’homme, François de Rosnay, qui se révèle être Français, s’est échappé des griffes du redoutable Mourad Raïs, pirate algérois des plus cruels. Traqué par les sbires de Mourad, François va tout mettre en œuvre pour dénoncer l’infâme complot dont il fut la victime et lui valut dix années d’esclavage à El Mahroussa, c’est-à-dire Alger. Grimé et accompagné des enfants comme de la comtesse Doria, dont il venait d’épouser la cadette au moment où il fut capturé par les pirates, il gagne la France et plus précisément Rosnay, dont le titre de comte a été usurpé et lui revient de droit.

Note d’un des auteurs

C’est une pièce qui vient en premier lieu et en ligne droite de l’enfance : Cartouche, évidemment, et Fanfan la tulipe, deux œuvres hautement populaires et rigoureusement anarchistes (Cartouche, à tout le moins), en sont les premières inspiratrices. Après cinq années à écrire sur la guerre de 14-18 (lors de la résidence « Avec les communes » au Parc naturel régional de la montagne de Reims), il fallait changer d’air et de sujet, comme un nécessaire retour aux épées de bois après les vraies mitrailleuses et tous ces morts pour de bon et puis, en définitive, pour presque rien. Les alentours de Rosnay, vallonnés et boisés, ménageant par leurs routes étroites des surprises ravissantes, comme fermes fortifiées et châteaux écartés, ajoutaient à l’envie de s’égarer dans le temps littéraire des cavaliers et des marcheurs, de croiser Jacques ou bien son maître, Athos ou Aramis, ou encore et surtout Le Destin et l’Étoile.

Je me suis imaginé bâtir l’histoire en matriochkas, une pièce dans une pièce dans une pièce, le procédé permettant d’une part d’autonomiser les répétitions de plusieurs ateliers de théâtre ouverts dans les huit communes participant à l’opération, et d’autre part d’utiliser des niveaux de langage différents suivant que telle pièce serait dédiée à tel atelier ou à tel autre. Pour être honnête, il y a aussi une forme de plaisir ludique à multiplier les intrigues et à mélanger les temps au point de s’emmêler les pinceaux ; d’ajouter, si l’on veut, une nuit aux mille et unes autres et de la faire durer le plus possible, aussi longtemps que dure la félicité de visiter des lieux que ne borne rien que la fantaisie : pour une fois qu’on peut sans risque jouer un vilain bon tour aux gendarmes, effacer les méchants d’un coup de mousquet, ressusciter les gentils et faire triompher l’amour, ne nous dépêchons pas de revenir aux réalités.

Enfin, une fois de plus, ce sont des enfants qui, pour beaucoup, tiennent la pièce. Nécessité fait loi, puisqu’ils sont nombreux à participer aux ateliers, mais pas seulement. En réalité, de plus en plus, je tiens que les personnages d’enfants sont les meilleurs guides pour les spectateurs novices ou peu coutumiers des théâtres, dont souvent ceux du Diable à 4 pattes. Un enfant sur les planches persuade mieux qu’un adulte de voir la mer dans le tissu, la lame dans le bâton, le dragon dans l’ombre, etc.



***


Vidéo(s) : Matteo Di Tullio et Timothée Garnier

Des méchants

Hugues. – Te voilà, l’évêque. Quelles nouvelles ?

Marchaumont. – Malheureusement, comte, aucune.

Hugues. – Aucune ?

Marchaumont. – Il demeure introuvable. Trente limiers, les mieux informés et les plus aguerris, sont à ses trousses, qui remuent ciel et terre depuis l’Italie jusqu’à Rosnay. Sa trace se perd à Gênes le jour que je l’y ai vu. C’est comme si le néant d’où il s’était échappé l’avait ravalé. Cependant, la comtesse Doria, au palais de laquelle m’est apparu ce fantôme, n’est plus visible non plus, et ce depuis le même temps que lui. Il est donc quelque part, avec elle, et tous deux se tiennent dans l’ombre. Croyez que je mets toutes mes forces et tous mes moyens dans sa recherche. Pour autant, je ne puis plus longtemps surseoir aux charges de mon ministère.

Hugues. – Ah ?

Marchaumont. – Mais, je vous l’assure, vous ne risquez rien.

Hugues. – Ah, non ? Vraiment ?

Marchaumont, appelant. – Scorpette ! (À Hugues.) J’ai pris soin de vous entourer d’une garde sévère.

Approche Scorpette, suivi de Ragagnac et Butor.

Scorpette, à Hugues. – Sire.

Marchaumont, à Scorpette. – Parle.

Scorpette, à Marchaumont. – Les environs sont assurés, monseigneur. (À Hugues.) Pas un champ, pas un sentier, pas une haie qui ne soient surveillés. Vingt gaillards sillonnent jour et nuit les limites du domaine. Dix autres sont postés à la cime des arbres, prêts à sonner l’alerte au moindre signe de sa présence. (À propos de Butor et Ragagnac.) Enfin, ces deux soldats et moi-même nous tiendrons à vos côtés aussi longtemps que ce scélérat vous menacera.

Ragagnac, à Hugues. – À votre service, sire.

Butor, idem. – Votre dévoué, votre altesse.

Marchaumont, à Scorpette. – Vos hommes ont-ils tous bien à l’esprit le portrait de l’ennemi ?

Scorpette. – Si bien qu’il leur semble l’avoir toujours connu.

Ragagnac. – Tout comme si j’étais son frère.

Butor. – Et qu’il était le mien.

Marchaumont, à Scorpette. – Consigne leur a-t-elle clairement été donnée ?

Scorpette. – Si fait, monseigneur.

Ragagnac. – Sitôt vu, sitôt tué.

Butor. – Pas un mot, droit au cœur.

Marchaumont. – Et quant au corps ?

Scorpette. – Une fosse béante est déjà creusée qui l’attend au plus profond des bois.

Ragagnac. – Sitôt sans vie, sitôt sous terre.

Butor. – Une tombe dont le diable lui-même ne saurait s’extirper.

Scorpette. – La dépouille sera recouverte de lourdes pierres avant de l’être de six pieds de glaise, de sorte qu’aucune bête sauvage ne la puisse mettre à jour. En outre, nous aurons soin de rendre son cadavre à tout jamais méconnaissable.

Marchaumont. – Et pour monsieur le comte ?

Scorpette, à Marchaumont. – Nous serons pareils à son ombre, monseigneur.

Ragagnac, à Hugues. – Vos ombres, sire.

Butor, idem. – Attachés à vos pas comme la plante de vos pieds.

D’un geste, Marchaumont congédie les trois hommes.

Hugues. – Bigre, la jolie brigade !

Marchaumont. – Vous voyez, vous n’avez rien à craindre, comte. Il me faut vous laisser à présent, l’on m’attend à l’évêché. Souffrez que je prenne congé.

Hugues. – Ah, cela… Non.

Marchaumont. – Comment ?

Hugues. – Je ne veux pas. Je ne veux pas que tu t’en ailles.

Marchaumont. – Comte…

Hugues. – Ne sens-tu pas comme j’ai peur ? Je te veux près de moi, toi seul sais me rassurer.

Marchaumont. – Comte…

Hugues. – Cette odeur… Tu ne sens pas ? Sur ma peau, tout autour de moi, cette odeur… Depuis ton retour d’Italie et l’annonce que tu m’as faite, je pue comme une bête acculée par les chiens. J’ai si peur, l’évêque, j’ai si peur…

Marchaumont. – Comte, je vous en prie, il n’y a rien à craindre. Vous avez vu comme moi ces hommes en armes tout prêts à vous défendre. Vous êtes sauf.

Hugues. – Oh oui, je sais, je les ai vus ! Ce sont des hommes bien braves et je te remercie de tout le mal que tu t’es donné pour me les attacher. Mille mercis, l’évêque, mille mercis.

Marchaumont. – Je pars.

Hugues. – Et tu seras heureux d’apprendre que j’ai doublé le montant de leurs gages.

Marchaumont. – Comment ?

Hugues. – N’ai-je pas eu raison ? Je te vois surpris. J’ai cru ce faisant les dévouer plus fermement à ma cause. L’évêque, tu es fâché, je le vois bien que tu es fâché. C’est donc que j’ai mal fait. Une fois de plus, j’ai mal fait. C’est cette peur, cette maudite peur que j’éprouve, elle est en vérité une bien mauvaise conseillère. J’ai eu tort de l’écouter. Je me repens. Me pardonneras-tu ? Ô, comment, comment ai-je pu prêter foi à de si laides sornettes ? Sais-tu ce qu’elle disait, cette cruelle traîtresse ? Elle disait : « Tu le crois ton compagnon, ton fidèle complice, l’ami de tous tes vices ? Dans le secret, il ourdit de hâter ta mort plutôt que de te voir traîné en justice… »

Marchaumont. – Comte !

Hugues. – N’est-ce pas qu’elle est trompeuse ? Je me récrie, je lui dis : « Allons, ce n’est pas vrai ! N’a-t-il pas de sa main payé trois hommes et puis trente autres pour me garder du bras vengeur de mon ennemi ? » « Oh », fait-elle, « mais si ce bras vient à mollir et préfère à la justice de l’honneur celle des tribunaux, gage que ces trois hommes et leur trente comparses auront reçu le mot de t’expédier aux enfers plutôt que de jamais te laisser paraître devant tes juges. »

Marchaumont. – Comte, non !

Hugues. – C’est ce que je lui dis : « Non ! Calomnies que tout cela ! » Mais elle, inexorable : « Tu es veule et lâche et il sait qu’au premier mouvement que fera le bourreau tu diras tout, tes crimes et tes mensonges, et qu’il sera, lui, l’évêque tout puissant, tout aussi déchu que toi, car il n’est pas moins méchant celui qui fait de son silence un asile au criminel. » Aussi, subjugué par ma peur, terrorisé par elle, sitôt tes hommes en place, je me présente à eux et leur fais sans tarder confidence du soupçon qui taraude mon cœur. Ce sont des hommes bien braves, tu les as bien choisis et je te remercie. Ils sont comme j’aime les hommes, fidèles à la seule chose qui en ce monde n’est point menteuse, l’or. Et ces hommes bien braves, tout en comptant mon or par dessus le tien, de me dire de toi tout ce que la peur m’en avait déjà dit. (Marchaumont veut sortir, mais en est empêché, sur un geste de Hugues, par Scorpette, Ragagnac et Butor.) Viens. Allons, viens près de moi. Ne sois pas chagrin, je ne t’en veux point, à ta place je n’eusse pas agi différemment. Mais quand on a comme moi fait de l’envie sa maîtresse et qu’on est couché dans l’ordure, la sagesse veut qu’on écoute les avis de sa peur. Les tableaux qu’elle peint des châtiments que pourraient nous valoir nos crimes ne sont jamais si noirs qu’ils ne présentent ici ou là le moyen de s’y soustraire. C’est elle, ma peur, qui voici dix ans me jetait à tes pieds et me faisait te faire, et te faire à toi seul, la confession de mon ignominie. De toutes les larmes que je versai alors contre l’ourlet de ta robe, quelques unes peut-être, oui, quelques unes étaient véritables – tout de même, j’avais un peu d’embarras –, mais les autres, factices, qui te faisaient t’imaginer sur mon âme te tailler un empire, en vérité te rendaient mon complice, un criminel comme moi, plus vil encore peut-être de mépriser Dieu tout autant que les hommes. Un criminel, mon complice, qui ce jour-là approuvait le plan qui m’innocenterait aux yeux de l’univers et nous assurerait de vivre, toi et moi, sur un pied de rois. C’est qu’elle avait bien su, ma peur, me montrer l’avarice sous le masque ajusté de ta fausse piété et sous ta feinte modestie ta vorace ambition. On jouit moins du fruit d’un crime s’il est gâté par le remord, l’on a moins de remord si l’on a des complices, et tout infâme qu’on est, on n’en est pas moins homme, c’est le réconfort qu’on cherche dans la compagnie de ses pairs. Le corrompu corrompt pour n’être pas tout seul au banquet de Satan. Et voilà d’où que j’ai toujours favorisé tes desseins, augmenté ta fortune, satisfait tes caprices. Tu n’étais que vicaire, tu fus nommé évêque. Mais je ne voudrais pas que tu crusses maintenant que le bruit de ma chute assourdirait le monde si fort qu’il n’entendît point le fracas de la tienne. Viens. Suis-moi. Nous attendrons ensemble. Ma peur me dit que nous n’attendrons plus longtemps.

 
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