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Bernard Weber

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13 avril 1945 – 8 août 2021

En juin dernier, sur l’île de Groix, le temps est changeant. Des ondées, une averse et puis le grand soleil. La douleur ne le quitte plus, le sommeil l’a fui et l’appétit lui fait défaut, mais ce matin-là, debout dès l’aube, Bernard est allé aux Grands Sables par le chemin bordé d’ajoncs. Il a nagé dix brasses dans l’océan. Au retour, comme depuis tant et tant d’années, avec l’odeur du café frais dans la maison partout répandue, sur la table il a ouvert ses cahiers, disposé des imprimés devant lui et repris le fil du travail, celui de l’atelier d’écriture qu’il mène à Épernay. Son corps est penché : un tressaillement, une exclamation étouffée – « Ah, oui, c’est bien, ça, c’est bien, c’est bien… » –, un soupir, puis le frottement de la plume sur le papier… À Épernay, on attend avec confiance, ses corrections, ses remarques, ses suggestions.

Cette attention-là, aux autres, constante, inaltérée.

Mais il faut peut-être d’abord s’imaginer le petit appartement parental de la rue Ruhmkorff, XVIIe arrondissement.

C’est le premier des quatre. Il est venu au monde, en avril 45 à Paris, alors ville pleine de fantômes et d’espoir. Il est l’aîné de Martine, de Jacques et d’Annick ; il est le fils de Robert et de Madeleine. Ne le répétez à personne : son ours en peluche s’appelle Marie-Thérèse. Très vite, les livres et la mer, la musique et la marche. C’est l’époque, il est Cœur Vaillant. Il part en culotte courte aux Crozets dans le Jura bâtir à l’orée du bois une chapelle et rallier la Suisse à pieds depuis la vallée de Vouglan par le col de la Cure. La Suisse, où l’on croiserait peut-être Haddock et Tintin à la recherche de Tournesol, où l’on fumerait ses premières cigarettes : tout une aventure. Il grandit, il grandit, puis il entre au lycée Pasteur à Neuilly. L’air est tranchant, le temps est politique. Pendant qu’Anita Ekberg plonge dans la fontaine de Trevi et que Jean Seberg vend le Herald Tribune à la criée, La question d’Henri Alleg circule sous le manteau, la police parisienne matraque et assassine sous les ordres de Papon – certaines choses ne changent jamais. Le cœur est toujours vaillant, mais voilà qu’il vire au rouge. Bernard penchait pour des études d’histoire ; il entre à la Sorbonne en philosophie. Simone Weil et Spinoza ne quitteront plus jamais ni les rayons de sa bibliothèque ni ses pensées, non loin de Virginia Woolf et Jean Giono. Il atteint la Grèce en auto-stop juste avant les colonels ; il gravit le Mont-Blanc ; il s’éprend d’Esther ; elle le quitte ; il est le plus malheureux du monde. Mais vient le mois de mai splendide, 68, et tout est possible. La vie est partout qui s’invente, ouvriers et étudiants communiant dans la grève et la fumée des Gauloise. Il quitte la Sorbonne, part sans plus attendre au volant d’une mobylette enseigner la philosophie. Et comme partout c’est la vie, s’ensuit cette inévitable conséquence qu’est l’amour : les yeux couleur colère de Marie, la femme-jardin et la guerrière, l’amour de sa vie. On est en 1971, Sébastien est déjà né, il faut se marier pour se loger ; les anneaux de rideau qui servent d’alliance sont bien vite égarés. On vit à Colombes dans une maison communautaire avec un chimpanzé, un joueur de flûte et un motard ; des morilles poussent sur un tas de gravats dans le jardin. Bernard travaille au Foyer des Aînés avec des orphelins qu’il emmène en vacances à Belle-Île, peut-être parce que Doisnel dans Les 400 coups. La vie ne faiblit pas : voici Sarah en 74 et le départ pour Chouilly, une maison de craie, un boulot au CAT de Pouillon, l’inéluctable renvoi après la création d’une cellule syndicale. Il est embauché à la Maison Commune du Chemin-Vert à Reims. Il en devient rapidement le directeur. C’est le quartier dont les allées sont dites des Glycines et des Bleuets, des Bons Enfants et des Mamans et dont les habitants se surnomment Trois-Poils, Gros-Bœufs, Blanc-Blanc, Mamane, Rouquette, Père Fonfonse, et la mère Fauquenberg. Bernard devient Bébert. Marie, Noël, Chantal, Éric, Philippe et lui ressuscitent le club de foot, la kermesse et son fameux cochon vivant à gagner, les tournois de belote, les vacances pour tous à la montagne et à la mer. Il fait aussi dans la salle de spectacle de la place aux spectacles, et ce seront Jacques, Jean-Paul Farré, Richard Bohringer, Font et Val, Thiéfaine et Bill Deraime, et tant d’autres. 78, 79, 80, 81. Mitterand. L’espoir est vite douché, la douche est froide, Bernard est fatigué du travail titanesque qu’il abat quotidiennement. C’est le départ pour Lyon, au côté de Jacques qui vient de prendre la direction du Théâtre du Huitième : le spectacle, le grand, le populaire et l’exigeant. Il n’en démordra plus. Quand il revient dans la Marne en 85 c’est pour rejoindre Christian et Claude, le grand pote, et intégrer l’Office Régional Culturel de Champagne-Ardenne, sous la direction de Jacques Riou. Et tous trois vont poser les bases d’une politique culturelle ambitieuse et solide, encore vivace aujourd’hui. Il quitte l’ORCCA en 1991, fonde avec Jean-Luc une librairie à Troyes, Les Passeurs de Textes, où l’amour de la littérature s’exprime le mieux du monde.

Évidemment, il faut aussi imaginer Bernard toutes ces années durant, à la table, penché, emplissant de son écriture serrée et comme chuchotée, d’innombrables cahiers : oui, c’est sa grande affaire, écrire. À presque cinquante ans, il décida de n’écrire plus en chuchotant, mais à haute voix, et vous êtes nombreux à connaître ses textes, ceux de ses pièces et de ses livres, vous les avez lus, ou joués, ou mis en scène. Vous les connaissez. Alors seulement un mot encore des ateliers innombrables qu’il mena avec tant d’enfants, tant d’hommes et tant de femmes.

De retour de l’île de Groix, Bernard est entré à l’hôpital. Et dans cet hôpital, il voulut discuter la mise en page du recueil de l’atelier d’Épernay. Écouter la lecture des textes des membres du groupe d’alphabétisation. Apporter ici une correction, noter là une suggestion. Cette attention-là. Cette attention aux autres. Toujours elle. Constante. Inaltérée. Celle sans doute qui lui faisait, dans le petit appartement parental de la rue Ruhmkorff, Paris, XVIIe, quand il était encore enfant, repousser ses livres d’histoire ou de mathématiques et coudre, pour sa sœur Martine, les habits de ses poupées et inventer pour Annick, la benjamine, d’ambitieuses histoires d’arbres à nouilles.

Cette attention qu’il porta à Olivier, Victor, Safia, Hasina, Piero, Sylviane, Manu, à tant d’autres, à tous les autres.

À nous tous.

***

Pour le Diable à 4 pattes, en plus d’avoir occupé depuis 2019 le poste de secrétaire de l’association, il a mené des ateliers d’écriture (Récits de vie) et participé à l’écriture des pièces (notamment La forêt des âmes en 2018 et El Mahrussa en 2020).

 
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